La réforme pédagogique

              

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L'Economiste du 16/12/2013

TRIBUNE

Pourquoi l’université marocaine est-elle à la dérive ?

 Par Amar KIFANI | Edition N°:4172 Le 16/12/2013 |

 

Amar Kifani a été successivement doyen de la faculté des sciences de Meknès (1998-2003) et directeur de l’Aref de Guelmim-Smara (2003-2005). Kifani est docteur d’Etat en génie mécanique de l’Université de Technologie de Compiègne en France. L’ancien chef du département de physique de la faculté des sciences de Rabat est auteur de plusieurs dizaines de travaux de recherche, notamment en mécanique.

L’autorité en charge de l’enseignement supérieur au Maroc ne sait plus à quel saint se vouer pour mettre sur les rails la réforme de l’enseignement supérieur. Initiée en 2000, une architecture pédagogique basée sur un cursus universitaire semestriel, sous forme de modules et de filières, a démarré en septembre 2003. Un cursus similaire avait été adopté en France dès 1973 dans une université où la même formule est toujours en vigueur. Actuellement, les autres universités françaises ont adopté ce système qui est d’ailleurs adopté par les pays de l’Union européenne. Avons-nous bien compris l’esprit de cette nouvelle architecture préconisée pour notre enseignement supérieur ? Je me permets de donner un bref aperçu sur ce type de formation et il reviendra au lecteur d’apprécier. Ce qu’il faudrait admettre c’est que tout au long d’un cursus, par exemple celui de la licence, les étudiants ayant obtenu ce diplôme possèdent, dans le cadre de cette réforme, le même niveau scientifique, sachant qu’ils ont validé le même nombre de modules et ces modules sont identiques. Mais l’esprit de la réforme, telle qu’elle est appliquée en Europe, est que les étudiants d’une promotion donnée, ayant obtenu un diplôme donné, peuvent n’avoir que des niveaux scientifiques similaires et pas forcément identiques, pour avoir droit au même diplôme. De ce fait, les modules d’une filière donnée  peuvent être différents selon les choix des étudiants, mais les niveaux scientifiques de ces modules doivent être similaires du point de vue de la difficulté et du contenu scientifique, sans que ces contenus soient forcément identiques. C’est dans cet esprit que sont conçus les programmes en France et en Europe.
Il me semble que ce n’est pas ce qui est préconisé au Maroc, et ce ne serait d’ailleurs pas possible en l’état actuel, car un cursus dans l’esprit indiqué précédemment nécessite beaucoup de moyens humains et beaucoup plus de locaux. On peut rétorquer que 30% des modules sont laissés au choix des universités. Certes, mais les choix des universités ou des établissements universitaires ne sont pas forcément les choix des étudiants, et comment ces choix sont-ils opérés en pratique ?
La loi 01-00 relative à la nouvelle organisation de l’enseignement supérieur a vu l’application de son article 15, relatif à la réforme des structures administratives, dès l’année 2002, alors que le reste de la loi, et notamment la réforme pédagogique, n’est entré en vigueur qu’une année plus tard, en septembre 2003, et encore faut-il voir dans quelles conditions ! Le comble est que ce même article 15 stipule qu’un président, après quatre ans, peut encore présenter sa candidature pour un second et dernier mandat. Mais l’article 15 ne stipule pas qu’après quatre ans, le président est reconduit automatiquement pour quatre autres années.

C’est pourtant ce à quoi nous assistons, car tous les présidents nommés en avril 2002 ont été reconduits, à une exception près, liée à d’autres considérations. Donc, depuis 2002, et pendant 8 ans ce sont les mêmes présidents qui ont dirigé nos universités. Tant qu’à faire, pourquoi ne pas les nommer à vie, puisque l’Afrique est championne de ces manières de faire, surtout en politique. Le comble, c’est que ces présidents, reconduits automatiquement dans leur mandat, voyant la fin du second mandat arriver, se sont permis de demander au ministre d’abroger l’article 15 afin qu’ils puissent bénéficier d’un troisième mandat, puis d’un quatrième, et ainsi de suite. La loi 01-00 a pour objet non seulement la réforme des structures administratives, mais une réforme globale, et notamment une réforme pédagogique. Depuis le démarrage de ce nouveau système pédagogique en septembre 2003, les présidents d’universités, à chaque occasion qui leur est offerte de s’exprimer à la télévision, à la radio, ou dans la presse écrite, ne tarissent pas d’éloges sur ce nouveau système pédagogique alors qu’il n’est même pas au point.

L’esprit de la réforme en Europe veut qu’une promotion puisse obtenir le même diplôme, avec le même niveau scientifique, mais sans avoir forcément suivi les mêmes modules même si le nombre de module est le même. Les modules à valider sont laissés au choix des étudiants. C’est le modèle dont s’est inspiré le Maroc, mais sans vraiment en appliquer les modalités

Du «copier-coller»!

En définitive, en 2008, le ministère reconnaît que la réforme a pris beaucoup de retard et comporte encore des lacunes qu’il faudrait combler sur une période de quatre ans (2008-2012). Pour cela, un plan d’urgence a été mis en place. Même le contenu (le texte) de ce plan d’urgence mérite d’être adapté à la situation du Maroc, puisqu’il y est question, entre autres, de «départements», qui existent certes en France, mais pas au Maroc. Ceci pourrait donner une indication sur l'origine du texte de ce plan d'urgence, sachant que le Maroc ne compte que des régions.  Et pas de départements. Ce n’est pas avec du «copier-coller» qu’on réussira une réforme pédagogique digne de ce nom.

 

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L'Economiste du 24/1/2014

TRIBUNE

Enseignement supérieur
La fausse réforme des modules
Par Amar Kifani

Par Amar KIFANI | Edition N°:4198 Le 24/01/2014 |

 

Amar Kifani a été successivement doyen de la faculté des sciences de Meknès (1998-2003) et directeur de l’Aref de Guelmim-Smara (2003-2005). Kifani est docteur d’Etat génie mécanique de l’Université de Technologie de Compiègne en France.  L’ancien chef du département de physique de la faculté des sciences de Rabat est auteur de plusieurs dizaines de travaux de recherche, notamment en mécanique.

La réforme de l’enseignement supérieur au Maroc est régie par la loi 01-00. Sa mise en application a démarré en septembre 2003. Mais des lacunes persistent et sont le fait des personnes chargées de son élaboration et de sa mise en place. En effet, ces dernières n’avaient pas été confrontées à un système pédagogique  proposant des enseignements sous forme de modules et de filières. Ainsi, le contenu global des enseignements dispensés n’est pas très différent de ceux qui étaient dispensés avant la réforme. La seule différence réside dans le fait qu’auparavant la progression dans le cursus universitaire se faisait par le passage d’une année à l’autre, alors que dans le cadre de cette réforme, la progression se fait par la validation de modules. Les connaissances scientifiques requises et la durée de leur acquisition pour l’obtention d’un diplôme donné restent pratiquement similaires que ce soit dans le cadre de la réforme ou avant la réforme. Ainsi, à part le fait que notre enseignement supérieur est supposé, grâce à cette réforme, correspondre aux standards internationaux, ce qui est d’ailleurs une exigence, cette réforme n’y apporte aucune plus-value.
L’addition des mauvais choix pédagogiques et administratifs fait que nous aurions pu faire l’économie d’une perte de temps.
Où est l’autonomie pédagogique des universités, prévue par la loi 01-00 ? Ce sont les mêmes enseignements qui sont dispensés dans toutes les universités. L’esprit du système modulaire n’est pas compris. Les modules composés de deux à trois matières ne sont pas adaptés à une codification qui simplifierait les formalités d’inscription.
A propos des modules et des éléments qui les composent, depuis 2002, alors que j’étais doyen de la faculté des sciences de Meknès, je n’avais cessé de proposer que les modules ne comportent pas plus d’un élément. Ceci existe dans tous mes projets de développement de facultés ou d’universités que je n’avais cessé de présenter en vain depuis cette date. Ces projets peuvent être consultés dans les archives du ministère, ils sont sur papier et sur CD.
Finalement, en septembre dernier à Marrakech (septembre 2013), les responsables de l’enseignement supérieur sont arrivés à la conclusion que le module ne contiendrait plus qu’un élément à compter de l’année prochaine, (rentrée 2014-2015) solution que je préconisais en 2002. Un autre problème va se poser dans le nouveau contexte. C’est celui de fixer le nombre de modules à valider par semestre. Jusqu’à présent, ce nombre était fixé à quatre modules de 2 à 3 éléments. Faudrait-il alors valider 7 ou 8 modules à un élément?
La solution ne sera trouvée que lorsque des ECTS (European Credit Transfert System) ou crédits, seront affectés aux modules. Alors on ne parlera plus du nombre de modules mais plutôt du nombre de crédits à valider par semestre. On peut rappeler qu’un crédit correspond à 10 heures d’enseignement (cours, TD ou TP) en présence d’un professeur et 20 heures de travail personnel de l’étudiant. C’est-à-dire un total de trente heures. C’est de cette manière que sont évaluées les Unités d’enseignement en France.
En outre, les modules devraient être enseignés pendant tous les semestres et non sous cette forme qui consiste à enseigner les modules pairs pendant un semestre et les modules impairs pendant l’autre semestre. De plus, jusqu’à présent, on ne connaît pas exactement les formalités de progression dans le cursus universitaire à tel point qu’une fois inscrit à l’université, les étudiants deviennent pratiquement des numéros pairs et impairs sans qu’il soit possible d’évaluer réellement leur niveau scientifique.

A part le fait que notre enseignement supérieur est supposé correspondre aux standards internationaux, ce qui est d’ailleurs une exigence, la réforme n’y apporte aucune plus-value. L’addition des mauvais choix pédagogiques et administratifs fait que nous aurions pu faire l’économie d’une perte de temps.

Un plan d’urgence «dévié de son objectif»

Comme je l’avais écrit à maintes reprises, l’autonomie pédagogique doit concerner à la fois l’étudiant dans le choix de ses modules et l’université dans le choix des filières à dispenser. Ni l’étudiant, ni l’université n’ont cette possibilité. En définitive, si le niveau des diplômes actuel était meilleur qu’avant la réforme, on peut passer sous silence toutes ces lacunes, mais il est plus faible. Alors, le plan d’urgence prévu pour booster l’enseignement supérieur entre 2009 et 2012 n’a pas servi à grand-chose et en plus il a été dévié de son objectif.

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L'Economiste du 25/7/2017

TRIBUNE

Réforme LMD, à quand les dernières retouches ?

Par Amar KIFANI | Edition N°:5072 Le 25/07/2017 |

Amar Kifani est professeur de l’enseignement supérieur. Il est docteur d’état en génie mécanique, lauréat de l’Université de technologie de Compiègne (UTC). Après avoir dirigé le département de physique de la faculté des sciences de Rabat, Kifani a occupé le poste de doyen de la faculté des sciences de Meknès, puis celui de directeur de l’académie de la région Guelmim-Smara. Il a à son actif deux ouvrages, sur la mécanique des milieux continus (2014) et la résistance au choc des polyéthylènes (2016).

La réforme de l’enseignement supérieur au Maroc a démarré en 1998, en même temps que celle entreprise en France, et dont l’idée fut celle de Claude Allègre, alors ministre de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie. Son projet a été réalisé par Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand. Depuis, cette réforme a pris un caractère quasi international. Le but était de permettre la  mobilité des étudiants et des enseignants dans l’espace européen. Une réunion fut organisée à la Sorbonne par le ministre français en 1998. Mais seuls quatre ou cinq ministres européens y avaient assisté. Une deuxième fut organisée à Bologne une année après. Cette fois là, 29 ministres européens de l’Enseignement étaient présents. Ils ont élaboré un processus organisant les programmes d’enseignement supérieur en trois niveaux: le premier, le deuxième et le troisième cycle, qui conduisent respectivement à la licence (niveau Bac +3), au master (niveau Bac +5)  et au doctorat (niveau Bac +8). C’est ce que nous appelons aujourd’hui le système LMD. Les 29 ministres ont ensuite signé la désormais célèbre déclaration de Bologne. Cette déclaration établit un cadre pour la réforme de l’enseignement supérieur européen. Le processus a permis, par la suite, de renforcer la mobilité des étudiants et des enseignants, et de mettre en place un système de Crédits transférables, ECTS (European Credit Transfert System).
Au Maroc, la réforme s’est inspirée du processus de Bologne. L’architecture même de notre enseignement est basée sur ce processus. J’avais d’ailleurs participé à cette restructuration en tant que doyen. Néanmoins, cette architecture nécessite des améliorations, car elle contient des imperfections. 
L’ossature de l’enseignement supérieur français et marocain est exactement la même. La différence réside dans la structuration. Et la nôtre est à revoir. En France toutes les Unités d’enseignement (UE) sont dispensées au premier et au second semestre. L’ordre de validation des UE est laissé au choix de l’étudiant, ce qui n’est pas le cas chez nous. Pendant dix ans, entre 2003 et 2013, nos modules comportaient entre deux et trois matières. Leur codification était impossible. Depuis 2013, nous avons enfin adopté une matière par module comme en France et en Europe. La codification est donc devenue possible. L’intérêt de la  codification des UE ou modules est qu’elle permet non seulement de simplifier les modalités d’inscription, mais également de connaître à la fois la matière de l’unité et son niveau scientifique. C’est cette codification que je propose pour nos modules. Il subsiste encore le volume de 50 heures attribué à chaque module, ce que l’on peut difficilement admettre. Il faudrait donc le remplacer par des crédits ECTS (European Credit Transfert System). Un crédit ECTS vaut 10 heures de cours (cours, TD, TP). 30 crédits ECTS par semestre valent donc 300 heures. Ainsi, à chacun des six modules adoptés semestriellement depuis 2014, il suffit d’attribuer les crédits ECTS correspondant au volume horaire réel de chaque module pour obtenir 30 crédits ECTS par semestre. 
L’avantage de la codification proposée ici est qu’elle renseigne à la fois sur la spécialité du module et sur son niveau scientifique, sans qu’il soit nécessaire de le situer dans le temps (ou dans le semestre). En Europe, la codification des UE comporte trois lettres indiquant la discipline, suivies de trois chiffres renseignant sur le niveau scientifique du module et son classement dans la liste des modules. Le premier chiffre indique le niveau scientifique de l’unité d’enseignement, les deux autres chiffres précisent le classement du module dans le cursus universitaire. Les premiers chiffres relatifs au niveau scientifique sont 0, 1 et 2. Le chiffre 0 désigne un module de niveau Bac à Bac + 2, (DEUG). Le chiffre 1 désigne un module de niveau Bac + 2 à Bac +4, (licence), et le chiffre 2 désigne le module de  niveau Bac + 5 (Master). Rappelons que les UE ne comportent qu’une matière, comme nos modules actuels, et c'est pour cela que je parle indifféremment de module ou d'UE.
Voici un exemple pratique. Si la discipline est par exemple «Chimie –Génie des Procédés», les trois lettres correspondant à la discipline sont «CGP». CGP001: «Outils informatiques appliqués à la chimie et à la biologie» est une UE de niveau (Bac à Bac + 2) ou DEUG, car le premier chiffre après les trois lettres est 0. Les deux chiffres qui suivent, (01), indiquent que cette unité est la première de la liste des UE du DEUG. 

Une meilleure mobilité pour  les étudiants

Cette codification me paraît intéressante pour une simplification de la gestion informatique de la scolarité. Insistons encore une fois sur le fait que cette codification indique deux choses à la fois: la discipline du module et son niveau scientifique. Cela est très important. Ainsi, l’étudiant souhaitant s’inscrire indique simplement le code du module. La validation des acquis par l’attribution des crédits ECTS à raison de 30 crédits par semestre (un crédit ECTS = 10h), ainsi que la codification des modules comme indiqué précédemment, amélioreront notre réforme. De plus, lorsqu’un diplôme est délivré, il est généralement accompagné d’un Supplément au Diplôme (SD) qui précise les programmes, les enseignements suivis, les crédits cumulés, etc. C’est en fait une identité du diplôme. Les  codes et les dénominations exacts des modules, ainsi qu’un bref aperçu des programmes doivent être consignés dans un livret à distribuer aux étudiants à la rentrée universitaire. 
Si le ministère de tutelle prend en considération les propositions contenues dans cet article, cela permettrait une meilleure mobilité de nos étudiants au niveau national et à l’étranger.

Comment affecter des crédits ECTS

  Lorsque le profil d’un diplôme est défini, son programme est élaboré sous forme de modules auxquels on attribue des crédits ECTS. Ces derniers traduisent le volume horaire de chaque module. Pour tout diplôme, le programme à effectuer exige un nombre standard de 60 crédits ECTS au cours d’une année académique (ou 30 crédits ECTS par semestre), imposés par le processus de Bologne. Ce nombre de 60 crédits ECTS par année académique a pour origine le volume horaire global que peut fournir l’étudiant pendant l’année, estimé entre 1.500 et 1.800 heures. Environ un tiers est dispensé par l’établissement, soit 600 heures ou 60 crédits, et les deux tiers constituent le travail personnel de l’étudiant.

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Date de dernière mise à jour : 21/07/2021